Le Monde – Mosquée de Villeneuve d’Ascq

 

Texte de Stéphanie Le Bars, envoyée spéciale
D’une voix à peine hésitante, Younès s’est lancé. Calotte noire sur les cheveux, le garçonnet de 11 ans récite un verset du Coran, sous l’oeil bienveillant de deux examinateurs, jeunes « stars » françaises de la psalmodie du livre saint. Dans son dos, son père Farid Hachemane, comme tout parent stressé par la prestation de sa progéniture, articule en silence les paroles que déclame son aîné. Younès est l’un des plus jeunes de la trentaine de candidat(e)s qui se pressent, le 13 juillet, à la séance de présélection du premier concours régional de récitation du Coran, organisée dans les locaux en voie d’achèvement de la lumineuse mosquée de Villeneuve-d’Ascq (Nord).
Lancée pour accompagner le mois de ramadan – qui a commencé vendredi 20 juillet à l’aube – par Dialogue et rencontre, une association lilloise affiliée au Collectif des musulmans de France, l’initiative se veut un écho au succès de la tradition de la récitation, de plus en plus médiatisée par les chaînes de télévision dans le monde musulman. Une manière aussi de mobiliser les jeunes générations sur la lecture du Coran. Car, même si le développement des écoles coraniques, ou « écoles arabes », où les enfants s’initient à la langue arabe et à l’islam, ne se dément pas, la connaissance réelle du Coran, est, selon certains religieux, en perte de vitesse.

 

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Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Portrait d'un jeune qui vient de passer devant le jury

 

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« La psalmodie est un art, avec ses règles de diction ; la mémorisation du Coran est valorisée et recommandée dans la tradition musulmane depuis le Prophète, pour en assurer sa transmission », explique Oussama Mouftah, l’un des responsables de l’association organisatrice. Younès, qui l’étudie depuis l’âge de 3 ans et connaît 15 de ses 114 chapitres ou sourates, estime que « savoir le Coran par coeur, cela peut [l]’aider dans la vie ». Son père précise : « il y a tout dans le Coran : les règles de vie, de comportement, le respect des autres. En plus, comme cet apprentissage est difficile, cela aide les enfants pour l’école », assure-t-il aussi, fier que son fils soit « premier de la classe ».
Pour Richi Abdelhakim, la motivation est autre. Venu de Maubeuge, le jeune homme de 25 ans se destine à devenir imam, comme son père. Un imam « du juste milieu », plus adapté à la situation française que certains « imams de dépannage susceptibles de dire des choses fausses ou déplacées », estime-t-il.
Vêtu d’une gandoura blanche, le cheveu court et la barbe clairsemée, Richi, pas stressé pour deux sous et tenant ferme le micro, assure l’une des plus belles prestations de la soirée. « J’ai appris le Coran en cinq ans, de 10 à 15 ans, puis je suis parti me perfectionner au Maroc et en Egypte », explique le jeune homme. Inscrit en droit canonique à l’université d’Al Azhar du Caire, il psalmodie quotidiennement une demi-heure de versets coraniques. « Quand je récite, je suis bien, cela me permet d’être ordonné dans mon cerveau et dans ma vie », ajoute le croyant qui voit dans le Coran « le Bien qu’il veut transmettre à ses enfants ».

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. DŽtail ˆ l'entrŽe de la salle de prire

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici la salle de prire

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici une jeune femme qui tient le Coran avant de passer devant le jury.

La connaissance intégrale du Coran n’est pas une condition théologique pour devenir imam mais elle confère un indéniable prestige « auprès de Dieu et dans la communauté » à celui qui a fait cet effort de mémorisation. Aussi est-il presque « aussi indiscret de demander à un musulman quelle proportion du Coran il connaît par coeur que son âge à une femme », sourit Oussama Mouftah.
Rachid B., enseignant d’anglais dans un collège public de la région de Liévin, en connaît « un tiers environ ». Le jeune homme à la barbe brune et courte aimerait aussi « faire l’imam ». « Aujourd’hui en France, les imams viennent souvent des pays d’origine, sans bagage littéraire, philosophique ou historique français », regrette-t-il.
Comme la plupart des récitants, Rachid assure que le « par coeur » ne rend pas les fidèles « aveugles ou littéralistes ». « Parallèlement à la mémorisation, il faut faire un effort d’interprétation et de réactualisation », assure le jeune homme de 28 ans vêtu en gandoura jaune pâle. « Pour l’instant », il puise les commentaires du texte sacré chez les savants des premiers siècles après la « révélation » qu’aurait reçue Mahomet à partir de l’année 610. « De toute façon avec le Coran, on ne peut pas être littéraliste, car on y trouve des choses contradictoires. » « Le problème n’est pas tant de l’apprendre que de le comprendre », reconnaît aussi Oussama Mouftah, pour qui « chacun va ensuite plus ou moins loin dans l’exégèse ».

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Vue d'ensemble de la salle de prire

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici, un candidat en pleine rŽcitation.

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici un jeune garon face au jury de sŽlection

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici une vue gŽnŽrale de l'intŽrieur de la salle de prire.

Fier de son héritage mais conscient des critiques que suscite cette pratique peu connue chez les non-musulmans, Abdelmonaim Boussenna, étudiant en école d’ingénieurs, imam, récitant reconnu et membre du jury insiste : « l’apprentissage du Coran n’est pas du bourrage de crâne mais une incitation pour les jeunes à connaître leur religion et à choisir leur chemin » en connaissance de cause. A la mosquée de Villeneuve-d’Ascq, long bâtiment clair aux arches de verre, « signe qu’il n’y a rien à cacher », selon son concepteur Oussama Bezzazi, plus de 600 enfants suivent chaque semaine les cours de « l’école arabe ».
Pour les croyants, la mémorisation et la récitation du Coran sont avant tout « un acte d’adoration ». « Lorsque je récite, mon but ultime est de toucher les coeurs », confie Fayçal Farikh, employé de 37 ans, « Zidane du Coran », selon Oussama Mouftah, et membre du jury lors de ces présélections. Lui a travaillé sa voix, sa diction, les émotions, les silences qui scandent la récitation, « en écoutant des cassettes de grands lecteurs égyptiens ».

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici un jeune garon face au jury

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. DŽtail de la salle de prire.

 

Reportage au sein de la mosquŽe de Villeneuve d'ascq dans le Nord Pas de Calais. A la veille du Ramadan, un concours de lecture du Coran est organisŽ. Ici le coran et en arrire fond, les membres du jury